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Jean Tinguely : 100 Ans d’Éclats Cinétiques entre Bâle et Fribourg

De Bâle à Fribourg, la Suisse vibre au rythme des machines poétiques de Jean Tinguely et célèbre les 100 ans de ce Nouveau Réaliste, figure majeure de l’art cinétique.

Jean Tinguely aimait à dire qu’il possédait la double nationalité, bâloise et fribourgeoise. Cette année, la Suisse lui rend hommage en deux lieux indissociables de son parcours : Bâle, où le Musée Tinguely déploie ses machines spectaculaires, et Fribourg, qui révèle les racines de son imaginaire indompté. Deux escales, un voyage sensible au cœur d’un univers où l’acier devient poésie, où l’accident et le hasard se transforment en éclats cinétiques.

Né à Fribourg le 22 mai 1925, il grandit à Bâle, où son tempérament rebelle et indiscipliné, teinté d’une insoumission aux horaires, le dirige vers une formation de décorateur. Son bref passage chez Globus – grand magasin de luxe, révèle une vision artistique déjà en porte-à-faux avec le commerce, mais son talent est vite reconnu par le décorateur Joos Hutter, qui l’incite à rejoindre l’École des Arts Appliqués. C’est une véritable révélation où la décoration s’intègre à l’art, et où il rencontre sa future épouse, Eva Aeppli.

Avant de faire danser la ferraille sur les places du monde, Jean Tinguely s’exerçait à l’art du mouvement dans un cadre plus modeste, mais tout aussi théâtral : les vitrines de l’opticien Fankhauser à Bâle – qui lui rend hommage en cette année de célébrations. Là, il déployait de petits ballets d’objets absurdes, des mécanismes bricolés qui faisaient cligner l’œil aux passants. Ces micro-théâtres, entre jeu et provocation, portaient déjà les germes de son langage à venir : une poésie mécanique, joyeusement inutile, où le moindre engrenage devient un geste artistique. Ce rôle de décorateur fut son premier atelier de spectacle, son laboratoire d’insolence et d’émerveillement.

Jean Tinguely, décoration pour la vitrine de l'opticien Fankhauser, reconstituée dans le cadre de l'Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, 2025, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, décoration pour la vitrine de l’opticien Fankhauser, reconstituée dans le cadre de l’Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, 2025, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

Les années parisiennes

C’est à Paris, loin de ses terres natales, que Jean Tinguely trouve son véritable terrain d’envol. Dès 1952, dans la ruche créative de l’Impasse Ronsin, il partage un quotidien d’expérimentations et de silences habités avec Eva Aeppli. Leur atelier, niché parmi ceux d’Yves Klein ou de Daniel Spoerri, devient le théâtre d’une effervescence intime : lui, sculpteur de machines insoumises, elle, présence discrète mais fondatrice, qui puise dans cette proximité la force de faire éclore sa propre voie artistique. C’est dans ce creuset que Tinguely rejoint les Nouveaux Réalistes et impose peu à peu son langage fait de mouvement, de dérision et d’énergie brute.

Mais c’est en 1955, avec la rencontre de Niki de Saint-Phalle, que le destin de Tinguely s’embrase. Leur duo, scellé par un mariage en 1971, donne naissance à un monde foisonnant, où les Nanas colorées de Niki dansent au rythme des mécanismes grinçants de Tinguely. De cette union naissent des œuvres légendaires, comme le Cyclope (Milly-la-Forêt, dans l’Essonne, au sud de Paris) , la Fontaine Stravinsky (Paris) ou le Jardin des Tarots (Capalbio, Toscane) – autant de lieux habités par la fantaisie, le bruit, et la beauté chaotique du mouvement.

Une reconnaissance suisse tardive

Paradoxalement, la reconnaissance de Jean Tinguely en Suisse fut tardive. Ce n’est qu’en 1964, avec la création de la sculpture Heureka pour l’Exposition Nationale Suisse à Lausanne, que son œuvre capta une attention nationale. Avant cela, seules quelques expositions à Bâle, organisées par le galeriste Felix Handschin dès 1962, avaient timidement présenté son travail.

L’impact d’Heureka marqua un tournant, menant à l’acquisition de sa sculpture Hannibal II par l’Office du tourisme de Bâle en 1968, et culminant en 1972 avec une première grande rétrospective à la Kunsthalle de Bâle, célébrant enfin l’artiste dont le mouvement allait marquer son époque.

 

Jean Tinguely, construction d'Eureka pour l’Exposition Nationale de 1964 à Lausanne, œuvre déplacée à Zurich depuis 1967, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, 2025, (c) photo Monique Jacot, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, construction d’Eureka pour l’Exposition Nationale de 1964 à Lausanne, œuvre déplacée à Zurich depuis 1967, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, 2025, (c) photo Monique Jacot, Boombartstic Art Magazine

Mécaniques de l’éphémère

Chez Jean Tinguely, la destruction est une fête. Dès 1960, il sidère le MoMA avec Hommage à New York, une machine qui s’auto-détruit. L’éphémère devient œuvre, et le mouvement, un adieu joyeux à la forme figée. En creux, déjà, une opposition frontale à la logique muséale de conservation, à l’obsession de faire durer ce qui, pour lui, devait vivre… puis disparaître.

Sept ans plus tard, les Rotozazas reprennent ce fil, avec une touche plus ludique : ballons, bouteilles, assiettes sont offerts au public pour être brisés. Machines à participation et à disparition : dans chaque éclat, une beauté fragile ; dans chaque ruine, un pied de nez à la pérennité. Un art pas fait pour être figé sous verre, mais pour se consumer dans la joie du moment vécu

Jean Tinguely à Bâle, du musée à la fontaine

Ville d’une élégance rare, Bâle où la richesse d’un patrimoine millénaire se mêle harmonieusement aux lignes audacieuses de l’architecture contemporaine portée par d’imminentes signatures. Avec sa quarantaine de musées, cette métropole culturelle, bercée par les échos romantiques, lents et calmes du Rhin qui la traverse, offre un paysage d’une douceur contemplative. C’est au cœur de cette atmosphère tissée de contrastes et de sérénité, que le Musée Tinguely trouve naturellement sa place.

Musée Jean Tinguely

Un Sanctuaire de Mouvement, entre Désir et Discorde

La naissance du Musée Tinguely en 1996, fruit du mécénat de l’entreprise pharmaceutique Roche, résonne comme une symphonie paradoxale. Car Jean Tinguely lui-même, esprit libre et rebelle, s’était farouchement opposé à l’idée d’un musée portant son nom. De son vivant, il avait déjà esquissé son propre anti-musée à la Verrerie de Fribourg, le Torpédo, un lieu conçu comme un sanctuaire intime, dénué de tout artifice commercial, où l’œuvre parlerait d’elle-même, simplement datée et signée. Ce contraste saisissant entre la vision de l’artiste et la concrétisation posthume d’un musée institutionnel pose une question délicate sur la pérennité de son art.

Pourtant, c’est à Niki de Saint-Phalle, légataire testamentaire et compagne de création, qu’échut la lourde tâche d’assurer l’avenir de son œuvre après son décès en 1991. L’accord qu’elle donna pour l’ouverture du musée bâlois, écrin somptueux conçu par l’architecte Mario Botta au bord du Rhin. Grâce aux donations significatives de Niki, ce musée est devenu le vibrant écrin d’une œuvre qui continue de danser, d’interpeller et de célébrer le mouvement dans toute sa splendeur.

Musée Tinguely, côté Sud le long du Rhin, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, 2025, (c) 2024 Museum Tinguely Bâle, (c) photo Daniel Spehr, Boombartstic Art Magazine
Musée Tinguely, côté Sud le long du Rhin, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, 2025, (c) 2024 Museum Tinguely Bâle, (c) photo Daniel Spehr, Boombartstic Art Magazine

Collections en Mouvement

La collection du Musée Tinguely est vaste de 150 sculptures et quelque 2000 œuvres sur papier. De salle en salle, le visiteur est convié à un ballet mécanique, depuis les Reliefs méta-mécaniques des débuts et les sensibles Méta-Matic –machines à dessiner des années 1950, jusqu’aux provocations des sculptures autodestructrices.

On y croise les machines rouillées et patinées des années 1960, témoignant de son engagement avec le quotidien et l’anti-art, avant de découvrir les formes plus sombres et classiques de ses œuvres tardives.

Le musée ne fige pas l’œuvre ; il la fait respirer, la réactive, comme en témoigne le récent redéploiement des collections ‘La roue c’est tout’, inaugurée en février 2023. Ici, la conservation épouse la nature même de ces machines conçues pour s’user et se transformer, rendant palpable cette critique ludique de la société de consommation qui fut la signature inimitable de Tinguely.

Le parcours s’ouvre sur l’emblématique L’Éloge de la folie (1966), une œuvre qui révèle la passion de l’artiste pour la scène. Créée comme décor pour le ballet éponyme de Roland Petit, qui rend hommage à l’œuvre d’Érasme, cette pièce majeure des années 60 est un système de rouages plats, sombres, s’animant tel un rideau de scène. Leurs rotations lentes et légères tissent un fascinant ballet d’ombres.

Vient ensuite, Hannibal II (1960), une sculpture-machine à l’esthétique biomécanique – qui n’est pas sans rappeler les créatures xénomorphes chères à H.R. Giger. Evoquant la force et l’absurdité, son unique raison d’être est son mouvement bruyant.

Monté sur tracteur, sculpture sonore en mouvement, le Klamauk (1979) est un assemblage improbable de cloches, cymbales et tonneaux s’animant dans une mélodie aléatoire. Accentué par des pétards et fusées, son passage relève de la procession apocalyptique.

Au cœur du Musée, la Meta Maxi Maxi Utopia (1971) se dresse en colosse onirique. Cette machine vivante orchestre une symphonie du hasard, invitant le spectateur à pénétrer ses entrailles via des escaliers, transformant la contemplation en une odyssée immersive au cœur de ses mécanismes bruyants.

 

Jean Tinguely, Eloge de la Folie, 1966, cadre en aluminium et roues en bois, câble, courroies en caoutchouc, moteurs électriques, le tout peint en noir, 540 x 780 x 75 cm, vue de l'installation au Musée Tinguely, Bâle, Suisse, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, (c) 2024 ProLitteris, Zürich, (c) photo Museum Tinguely, Bâle, photo Daniel Spehr, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Eloge de la Folie, 1966, cadre en aluminium et roues en bois, câble, courroies en caoutchouc, moteurs électriques, le tout peint en noir, 540 x 780 x 75 cm, vue de l’installation au Musée Tinguely, Bâle, Suisse, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, (c) 2024 ProLitteris, Zürich, (c) photo Museum Tinguely, Bâle, photo Daniel Spehr, Boombartstic Art Magazine

Au dernier étage du musée se déploie Mengele Totentanz (La Danse macabre Mengele – 1986), une œuvre crépusculaire et intime. Inspirée par la fresque médiévale de Konrad Witz, cette installation plus tardive et imposante est composée de quatorze sculptures nées de débris d’une ferme incendiée, des bois et métaux marqués par le feu. Le visiteur y est confronté à un ballet grotesque de crânes et de mouvements saccadés, éclairés de façon dramatique. L’œuvre incarne la méditation de Tinguely sur la fragilité de l’existence, exacerbée par ses propres problèmes de santé. Le nom Mengele, bien que faisant référence à une marque agricole, évoque sinistrement le passé nazi, soulignant la volonté de l’artiste d’affronter la mort pour mieux embrasser la vie, dans une conscience aiguë de notre finitude inéluctable.

 

Jean Tinguely, Mengele Danse Macabre, 1986, collection Musée Tinguely, Bâle, Suisse, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, 2025, (c) 2024 ProLitteris Zurich, (c) photo Museum Tinguely Bâle, Serge Hasenböhle, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Mengele Danse Macabre, 1986, collection Musée Tinguely, Bâle, Suisse, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, 2025, (c) 2024 ProLitteris Zurich, (c) photo Museum Tinguely Bâle, Serge Hasenböhle, Boombartstic Art Magazine

Au-delà du fracas et des mouvements exubérants de ses machines, le Musée Tinguely dévoile une facette plus intime et tout aussi essentielle de l’œuvre de l’artiste : celle de ses collections papier et de ses archives photographiques. Loin de la monumentalité cinétique, ces documents offrent un regard privilégié sur le processus créatif de Jean Tinguely.

Jusqu’au 30 août 2025, le parc du musée accueille Scream Machines – Train fantôme, une installation immersive des artistes Rebecca Moss et Augustin Rebetez. Conçue à partir d’un train fantôme historique de 1935, elle rend un hommage direct au Crocrodrome de Zig et Puce de Tinguely et ses collaborateurs, créé pour l’ouverture du Centre Pompidou en 1977. Scream Machines fait revivre cet esprit festif, réaffirmant l’art vivant et participatif cher à Jean Tinguely.

 

Jean Tinguely et Bernhard Luginbühl, Le Crocrodrome de Zig & Puce, 1977, Flyer d'exposition retravaillé au feutre noir, gouache et collage, 55 x 120 cm, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, (c) 2025 Pro Litteris, Zurich, Museum Tinguely, Bâle, Donation Prof. Dr Roland Bieber en mémoire de Karola Mertz-Bieber, (c) photo courtesy Musée Tinguely, Bâle, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely et Bernhard Luginbühl, Le Crocrodrome de Zig & Puce, 1977, Flyer d’exposition retravaillé au feutre noir, gouache et collage, 55 x 120 cm, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, (c) 2025 Pro Litteris, Zurich, Museum Tinguely, Bâle, Donation Prof. Dr Roland Bieber en mémoire de Karola Mertz-Bieber, (c) photo courtesy Musée Tinguely, Bâle, Boombartstic Art Magazine

 

Rebecca Moss and Augustin Rebetez, Machines – Art Ghost Train, 2025, œuvre temporaire dans le cadre de l'Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, Musée Tinguely, Bâle, Suisse, 2025, (c) Museum Tinguely, Bâle, Courtesy of the artists, (c) photo Museum Tinguely, Bâle, Matthias Willi, Boombartstic Art Magazine
Rebecca Moss and Augustin Rebetez, Machines – Art Ghost Train, 2025, œuvre temporaire dans le cadre de l’Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, Musée Tinguely, Bâle, Suisse, 2025, (c) Museum Tinguely, Bâle, Courtesy of the artists, (c) photo Museum Tinguely, Bâle, Matthias Willi, Boombartstic Art Magazine

La Fontaine du Carnaval

Et si l’envie vous vient de flâner en ville, la Fontaine du Carnaval sur la Theaterplatz déploie une symphonie mécanique où le fer, l’eau et le mouvement dansent une valse espiègle sous le regard amusé des passants. Tinguely y a insufflé l’âme joyeuse et un brin facétieux du carnaval, en y intégrant habilement les vestiges d’un ancien théâtre municipal démoli sur le même site. Il a transformé ces machines usagées, ces rouages et ces tuyaux récupérés, en personnages burlesques qui crachent, gargouillent et tourbillonnent, peignant des éclaboussures éphémères sur la toile de l’air.

Moment de paix et de fraîcheur, comme une ode à la vie qui se rit d’elle-même, un rappel que l’art peut être aussi sérieux que le rire d’un enfant et aussi profond qu’une flaque de pluie reflétant le ciel.

 

Jean Tinguely, Fontaine du Carnaval, face au Théâtre, Bâle, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, (c) photo Basel Tourismus, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Fontaine du Carnaval, face au Théâtre, Bâle, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, (c) photo Basel Tourismus, Boombartstic Art Magazine

 

Jean Tinguely à Fribourg

Nichée au creux d’un méandre sinueux de la Sarine, et cernée par un paysage escarpé, Fribourg vous invite à une promenade à travers les siècles, fièrement drapée dans son héritage médiéval, déploie un panorama architectural d’une richesse exceptionnelle : ses ruelles pavées serpentent entre des façades gothiques magnifiquement préservées, ses fontaines murmurent les légendes d’antan et ses remparts imposants témoignent d’une histoire foisonnante.

Mais Fribourg n’est pas qu’une carte postale du passé ; elle est aussi une cité dynamique, riche de ses institutions muséales qui, du Musée d’Art  et d’Histoire à l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint-Phalle, racontent l’âme d’une région.

Le musée d’Art & d’Histoire

La Bande Mécanique – jusqu’au 07 septembre 2025

Dans l’ombre feutrée du Musée d’art et d’histoire, La Bande Mécanique s’anime comme une maison habitée de dix-huit machines-personnages, toutes singulières, composent une famille imaginaire dont les membres et les animaux de compagnie s’ébrouent dans un décor en clair-obscur, entre salon recomposé et couloir suspendu dans le temps.

A chaque figure, son mouvement, son bruit, sa mémoire. L’une d’elles, la cadette, naît du trait d’enfants fribourgeois, s’inscrit dans cette galerie de portraits. Dans ce théâtre mécanique, on entend battre le cœur de Tinguely enfant, celui qui, au bord d’un ruisseau, découvrit que l’art pouvait s’inventer avec trois bouts de fil, un clou rouillé et un peu de vent.

Créée par le Magnifique Théâtre, La Bande Mécanique s’adresse aux enfants, aux curieux, à ceux qui aiment les histoires qui bougent, rient et parfois tombent. C’est une mécanique du cœur, désaxée et joyeuse, qui redonne au mouvement sa part d’humanité.

 

Jean Tinguely 100 - centenaire, Musée d'Art et d'Histoire, Fribourg, Suisse, vue de l'exposition La Bande Mécanique, (c) et (c) photo association Théâtre Magnifique, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely 100 – centenaire, Musée d’Art et d’Histoire, Fribourg, Suisse, vue de l’exposition La Bande Mécanique, (c) et (c) photo association Théâtre Magnifique, Boombartstic Art Magazine

Le Retable des Petites Bêtes

Installé dans une aile du musée littéralement adossée au mur de rempart médiéval qui bordait autrefois la ville, Le Retable des Petites Bêtes entre en résonance avec la pierre ancienne. Contraste entre l’architecture défensive du XIIIᵉ siècle et l’art mécanique du XXᵉ, il dialogue avec les collections gothiques et les objets archéologiques tout proches.

Cette machine cinétique de 1958, parodie moderne d’un retable religieux, se meut en une chorégraphie grinçante et absurde, peuplée de créatures mécaniques et de chaînes en mouvement. Loin de l’iconographie sacrée, l’œuvre célèbre le geste inutile, le bruit sans fonction, le mouvement pour le mouvement.

 

Jean Tinguely, Retable des petites Bêtes, 1989, collection du Musée d'Art et d'Histoire du Canton de Fribourg, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, (c) 2025, ProLitteris, Zurich , (c) photo Musée d’art et d’histoire Fribourg - Francesco Ragusa, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Retable des petites Bêtes, 1989, collection du Musée d’Art et d’Histoire du Canton de Fribourg, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, (c) 2025, ProLitteris, Zurich , (c) photo Musée d’art et d’histoire Fribourg – Francesco Ragusa, Boombartstic Art Magazine

Espace Jean Tinguely & Niki de Saint-Phalle

Sur le site d’un ancien dépôt de tramway, l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle est un lieu habité par un art cinétique nourri par l’industrialisation, traversé, dans ses dernières années, par la présence insistante de la finitude. C’est Niki de Saint Phalle, en 1998, qui scelle le destin de ce lieu en y faisant don d’œuvres majeures, fidèlement à la promesse faite à son compagnon disparu en 1991.

Parmi elles, l’immense Retable de l’Abondance occidentale et du Mercantilisme totalitaire (1989-1990). Triptyque grinçant, stand de tir sacrilège, ballet de babioles tournoyantes : Tinguely y érige une divinité grotesque du commerce.

Curieuse installation éclectique, La Cascade, ou l’Epilepsie stabilisée (1990-1991) associe mobile lumineux rehaussé d’ampoules multicolores à un arbre orné de bois de cervidés et de reliquats de véhicules accidentés. Elle conjugue les racines compactes et l’aérien dynamique.

À ses côtés, La Mythologie blessée ( 1989), création conjointe du couple, incarne la beauté cabossée du vivant : un cygne au corps noble mais meurtri, une tête de serpent surgie de l’invisible, sur fond de ferraille tremblante. Plus loin, Remembering (1997-1998) de Niki de Saint-Phalle déroule en relief le fil intime de leurs vies entremêlées.

On y découvre aussi une Tinguely, fasciné par la vitesse, qui a décoré side-cars et combinaisons de pilotes.
En 2025, une exposition viendra couronner ce jubilé, consacrée aux œuvres tardives du sculpteur : un dernier tour de piste, où la mécanique du cœur continue de battre.

 

Jean Tinguely, Retable de l’Abondance occidentale et du Mercantilisme totalitaire, 1989-1990, Espace Jean Tinguely - Niki de Saint-Phalle, Fribourg, Suisse, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, (c) 2025, ProLitteris, Zurich, Musée d’Art et d’Histoire, Fribourg, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Retable de l’Abondance occidentale et du Mercantilisme totalitaire, 1989-1990, Espace Jean Tinguely – Niki de Saint-Phalle, Fribourg, Suisse, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, (c) 2025, ProLitteris, Zurich, Musée d’Art et d’Histoire, Fribourg, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

Jean Tinguely, illustrations pour une coque de side-car et une combinaison pour le pilote suisse René Progin, collection Espace Jean Tinguely - Niki de Saint-Phalle, Fribourg, Suisse, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, 2025, (c) courtesy Espace Jean Tinguely - Niki de Saint-Phalle, Fribourg, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, illustrations pour une coque de side-car et une combinaison pour le pilote suisse René Progin, collection Espace Jean Tinguely – Niki de Saint-Phalle, Fribourg, Suisse, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, 2025, (c) courtesy Espace Jean Tinguely – Niki de Saint-Phalle, Fribourg, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

La Fontaine JO Siffert : requiem mécanique, Hommage à l’ami perdu

En ville, sur la pelouse des Grand-Places, la Fontaine en l’honneur de Jo Siffert est le cri pétrifié de Jean Tinguely face à la perte de son ami pilote en 1971. Cette œuvre incarne leur passion commune pour la vitesse et l’univers automobile.

Initialement prévue devant la gare de Fribourg, cette fontaine, finalement érigée dix ans plus tard est un assemblage cinétique de roues, de métaux et de tuyaux qui projette l’eau dans une joyeuse fantaisie.

Jean Tinguely, Fontaine Jo Siffert, Grand-Places, Fribourg, Suisse, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, 2025, (c) Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Fontaine Jo Siffert, Grand-Places, Fribourg, Suisse, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, 2025, (c) Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

Tinguely, concepteur de machines
et joueur de cartes

Entre Jean Tinguely et Fribourg, il existe bien plus qu’un simple lien géographique : une véritable symbiose artistique et personnelle. Si l’artiste a rayonné sur la scène internationale, c’est dans cette ville que ses racines sont les plus profondes. Fribourg fut le berceau de son enfance et le refuge de ses dernières années, un témoin privilégié de ses premières explorations artistiques.

Mais surtout, c’est ici qu’on découvre un autre aspect de la vie de Tinguely, loin des projecteurs et de l’effervescence médiatique. On y perçoit l’homme ancré dans son territoire, ses amitiés locales, sa passion pour les plaisirs simples de la vie fribourgeoise – des parties de cartes aux repas partagés Jean Tinguely maniait le chaos comme d’autres la tendresse : avec éclat, humour et une fidélité farouche à une vie ordinaire enracinée dans le quotidien.

 

Jean Tinguely, Klamauk, 1979, 315 x 660 x 315 cm, tracteur Bührer monté d'une sculpture-machine, collection Musée Tinguely, Bâle, Suisse, donation Niki de Saint-Phalle, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, 2025, (c) photo courtesy Musée Tinguely, Bâle, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Klamauk, 1979, 315 x 660 x 315 cm, tracteur Bührer monté d’une sculpture-machine, collection Musée Tinguely, Bâle, Suisse, donation Niki de Saint-Phalle, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, 2025, (c) photo courtesy Musée Tinguely, Bâle, Boombartstic Art Magazine

Jean Tinguely et Neyruz, l’intime refuge

Loin des musées, des capitales et de la rumeur du monde, Jean Tinguely trouva à Neyruz, modeste village fribourgeois blotti face aux Préalpes, un ancrage secret. À partir de 1968, l’Auberge de l’Aigle Noir devient sa demeure, puis son atelier principal. Dans une grange reconvertie, il suspend ses machines aux poutres, bricole, assemble, rêve en ferraille. Là, le sculpteur exubérant devient voisin discret, figure étrange mais familière du village.

Aujourd’hui encore, Neyruz garde le souvenir vivant de cet homme qui faisait danser les mécaniques. Sa tombe, ornée d’une de ses machines, bruisse doucement au gré du vent. Les ‘Voies Tinguely’, inaugurées en 2016, tracent à travers le village un sentier poétique inspiré de son langage formel, tandis que l’Allée Jean Tinguely inscrit discrètement son nom.

Jusqu’au bout, Jean Tinguely aura voulu que la fête l’emporte : son enterrement fut un défilé tonitruant, fait de klaxons, de bolides fleuris et de fanfares, comme un dernier hommage à l’homme qui voyait dans chaque rouage un éclat de liberté.

Review Boombartstic

Entrer dans l’univers de Jean Tinguely, c’est se laisser emporter par une jubilation mécanique qui résiste au silence, une cacophonie d’engrenages et de ressorts où la poésie surgit du chaos. Ses œuvres vibrent comme des fragments d’atelier laissés ouverts au monde, avec leurs grincements, leurs sursauts, leur humour cabossé. Ici, la machine n’obéit pas, elle joue. Elle échoue, recommence, s’emballe parfois — comme la vie. Le fer y devient chair, et le mouvement, une nécessité plus vitale que fonctionnelle. Loin des carcans muséaux, Tinguely insuffle un art joyeusement anarchique, traversé d’énergie brute et de tendre ironie.

Mais au-delà de cette fête d’acier et de bruit, quelque chose de plus intime murmure. Le mouvement, chez Tinguely, n’est jamais vain : il interroge notre propre rythme intérieur, notre place dans un monde trop lisse, trop rapide. La fragilité des machines, leur capacité à s’arrêter, à se taire, parlent de nous. Son œuvre ne cherche pas à raviver une enfance perdue ; elle la révèle, vivante, insoumise, pour peu qu’on lui fasse de la place. Rien n’est figé, tout est élan — ou attente d’un élan. Et si tout s’effondre, il restera cela : un battement, une promesse de recommencement.

Tinguely sans frontières
un hommage européen

Plusieurs expositions internationales mettront en lumière l’œuvre de Jean Tinguely. Le Centre Pompidou en décentralisation au Grand-Palais, Paris accueillera une exposition majeure à l’automne 2025 – hiver 2026, ‘Jean Tinguely, Niki de Saint-Phalle, Pontus Hulten.  En Allemagne, le Lehmbruck Museum de Duisbourg présentera ‘Mécanique et Humanité Eva Aeppli et Jean Tinguely’ jusqu’au 24 août 2025. En Suisse le musée d’Art et d’Histoire, musée Rath de Genève accueille l’exposition ‘Jean Tinguely, 100 ans de cinétique mécanique’, jusqu’au 07 septembre 2025.

Enfin, Hauser & Wirth Somerset au Royaume-Uni, ‘Niki de Saint-Phalle & Jean Tinguely, Myths and Machines’, jusqu’au 01 février 2026 et à la Galerie Fleiss- Vallois, New York, ‘Jean Tinguely – Nothing Ever Stands Still (works from 1958 to 1990), de septembre à décembre 2025.

 

PLANIFIEZ VOTRE VISITE

Programme de l’année Tinguely 
https://www.tinguely100.com

Musée Jean Tinguely
Paul Sacher-Anlage 1
4058 Bâle
du mardi au dimanche, de 11h à 18h
ouvert en nocturne le jeudi jusqu’à 21h
https://www.tinguely.ch/fr.html

La Ville de Bâle et ses 40 musées – This is Basel Tourism
https://www.basel.com/fr/art/musees
Des visites guidées sur les traces de Jean Tinguely à Bâle sont proposées via l’office du tourisme

https://www.basel.com/fr/visites-guidees

Musée d’Art et d’ Histoire Fribourg
Rue de Morat 12

1700 Fribourg
mardi et mercredi, de 11h à 18h – jeudi de 11h à 20h
du vendredi au dimanche, de 11h à 18h

Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle
Rue de Morat 2 

1700 Fribourg
mercredi, de 11h à 18h – jeudi, de 11h à 20h
du vendredi au dimanche, de 11h à 18h
https://www.fr.ch/mahf

Musées et Galeries – Fribourg  Tourisme
https://fribourg.ch/fr/fribourg/musees/
Visites guidées, sur les traces de Jean Tinguely 
https://fribourg.ch/fr/fribourg/visites-de-la-ville/

 

Jean Tinguely, Hannibal II, 1967, roues en bois et en fer, barre en métal, tubes en plastique et en métal, chaîne en fer, roues de poussette, socle en bois, deux moteurs électriques, 258 x 152 x 727 cm, Année Jean Tinguely 100, 2025, (c) 2024 ProLitteris, Zurich, en prêt permanent de Basel Tourismus, (c) photo Museum Tinguely, Bâle, photo Daniel Spehr, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Hannibal II, 1967, roues en bois et en fer, barre en métal, tubes en plastique et en métal, chaîne en fer, roues de poussette, socle en bois, deux moteurs électriques, 258 x 152 x 727 cm, Année Jean Tinguely 100, 2025, (c) 2024 ProLitteris, Zurich, collection Musée Tinguely, Bâle, Suisse, en prêt permanent de Basel Tourismus, (c) photo Museum Tinguely, Bâle, photo Daniel Spehr, Boombartstic Art Magazine

 

Jean Tinguely, Grosse Méta-Maxi-Maxi-Utopia, 1987, Musée Tinguely, Bâle, Suisse, Année Jean Tinguely 100 - Centenaire, (c) 2024 ProLitteris Zurich, (c) photo Museum Tinguely Bâle, Serge Hasenböhler, Boombartstic Art Magazine
Jean Tinguely, Grosse Méta-Maxi-Maxi-Utopia, 1987, Musée Tinguely, Bâle, Suisse, Année Jean Tinguely 100 – Centenaire, (c) 2024 ProLitteris Zurich, (c) photo Museum Tinguely Bâle, Serge Hasenböhler, Boombartstic Art Magazine

 

 

 

 

 

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