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Hans Op de Beeck au KMSKA : le gris intemporel d’un monde en suspens

Hans Op de Beeck au KMSKA : le gris intemporel d’un monde en suspens

Au KMSKA à Anvers, l’exposition ‘Nocturnal Journey’ de l’artiste plasticien belge Hans Op de Beeck ouvre les portes d’un monde onirique et silencieux. Jusqu’au 17 août 2025, les visiteurs sont invités à un voyage en soi, où le temps semble s’être pétrifié dans le gris intemporel qui caractérise l’œuvre de l’artiste.

Comment l’art parvient-il à capturer la mélancolie et la solitude de l’âme dans une palette de gris ? C’est le cœur de la démarche de l’artiste, qui, en déployant un parcours multisensoriel de plus de 1500 m², déployés au 1er étage du musée, nous confronte à un univers à la fois familier et étrange. À travers des sculptures monumentales, des mises en scène de l’intime et des films captivants, Hans Op de Beeck crée un paysage de solitude où la frontière entre le quotidien et le fantastique s’estompe, invitant le spectateur à une méditation sur les rituels les plus simples de la vie.

L’exposition est le fruit d’une collaboration singulière entre le Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers et l’artiste, une rencontre qui insuffle un dialogue profond entre la tradition artistique et une création contemporaine. Sous le commissariat d’Annelien De Troij, ce Nachtreis (Voyage nocturne) devient une plateforme d’échange, où l’œuvre d’Op de Beeck, dans sa quête des multiples facettes de la beauté, établit un pont subtil avec la collection permanente du musée, tout en ne s’y confrontant pas. C’est une œuvre totale en soi, baignant dans sa propre lumière qui nous invite à repenser notre rapport au monde, à l’émotion et à l’art, prouvant que même dans le silence, la poésie peut naître.

Fictions silencieuses, pas à pas

Laissez la pénombre du musée vous envelopper et parcourez cet univers singulier, tracez votre chemin où les œuvres vous invitent à la déambulation, de salle en salle. Chaque installation, chaque sculpture, chaque film est une étape dans ce voyage intime où les figures familières et les paysages immobiles deviennent les miroirs de nos propres rêveries.
Poésie des formes, fragilité des histoires et puissance de l’imagination s’expriment, transformant le musée en un espace sensible de contemplation.

L’exposition s’ouvre sur Relief Seascape (2022) offre, en un bas-relief monochrome, la vision épurée d’un paysage marin archétypal. Débarrassée des clichés de la peinture de genre, l’œuvre se présente comme une pétrification poétique : cadre baroque et étendue marine semblent taillés d’un même bloc de matière grise, fusionnant dans une unité presque minérale. En effaçant les stéréotypes visuels, l’artiste transforme la scène en réminiscence, en fragment de rêve immobilisé.

Figures de la solitude et du passage

The Horseman (2020) revisite la figure classique du cavalier pour en faire une allégorie de la solitude et de la condition humaine. Loin de l’héroïsme traditionnel, cette sculpture met en scène un homme solitaire, accompagné d’un singe facétieux. Dans sa quiétude et sa vulnérabilité, il nous pousse à trouver la beauté dans la simplicité et la fragilité de l’instant.

Se frayant un chemin à travers les roseaux sur son embarcation chargée, The Boatman (2020), solitaire, figé dans l’acte de ramer. Comme une incarnation du voyageur éternel qui, au fil du temps, a amassé le poids de son existence.

Instant de répit, Dancer (2019) explore la dualité entre la représentation publique et la solitude privée. Assise dans son fauteuil Chesterfield, les yeux clos, la danseuse au costume extravagant contraste avec la quiétude de son attitude. Joie silencieuse; réflexion sur le besoin de se retirer du spectacle de la vie.

Réunis sur un même paysage entre plage et massifs rocailleux : une femme aux yeux clos, portant une chouette sur sa main droite, Miriam (2024); contraste entre vulnérabilité et sagesse, connexion mystérieuse entre deux figures, où l’abandon apparent de la jeune femme est guidé par le regard perçant de l’oiseau nocturne – une réflexion sur notre rapport à l’intuition et au monde de la nuit.

A flanc de falaise, The Cliff, (2019) nous transporte au bord du vide. Cette installation, exposée lors de l’exposition monographique d’Hans Op de Beeck à la Kunsthalle de Krems,en Autriche, met en scène un jeune couple assis au sommet d’un promontoire rocheux, contemplant l’horizon. L’œuvre capture de manière délicate l’attente silencieuse entre l’adolescence et l’âge adulte, symbolisant la perte de l’innocence. Méditation sur les moments charnières de l’existence, elle est ce point de rupture où se mêlent vertige, espoir et la beauté brute de la nature.

L’ange à la gravité secrète

La sculpture Zhai-Liza – Angel (2024) est le reflet d’une douce contradiction. Cette jeune fille aux attributs angéliques, mais dont le visage exprime une gravité, résiste à son rôle de conte de fées. Elle incarne cette réalité complexe des émotions contradictoires que nous dissimulons derrière les apparences et les rôles que nous sommes parfois contraints d’interpréter.

Vanités et temps suspendu

Vanitas XL (2021) s’impose comme une interprétation contemporaine de la nature morte classique, une installation monumentale où le quotidien se fige dans une composition d’objets familiers. Des crânes, des bouteilles, des vases sont recouverts d’une patine monochromatique, habillés de silence, les dépouillant de leur matérialité pour les transformer en symboles puissants de l’éphémère.

Danse Macabre, (2021) fige le mouvement joyeux d’un carrousel où d’étranges spectres et squelettes montés sur des chevaux pour le transformer en allégorie de la vanité sur laquelle planent les corbeaux. Conçue à l’origine pour la triennale de Bruges en 2021, cette installation nous confronte à un manège immobile où les souvenirs de fête cèdent la place au silence.

Un souffle poétique semble cependant animer un corbeau saisi dans un envol gracieux. Crow – 2024 transcende la symbolique sombre pour l’élever au rang de symbole de la liberté et de mystère.

Mondes miniatures et fictions intérieures

Le monumental The Settlement (2016) évoque l’architecture fragile d’un village sur pilotis : cabanes de bois reliées par des passerelles, d’où filtre, à travers quelques fenêtres, une lueur chaude – unique signe de vie au cœur de cette construction précaire. Conçue à l’origine pour le projet Emscherkunst en Allemagne, l’œuvre nous entraîne dans un territoire fictif, un monde de bois suspendu entre rêve et survie. Elle dit notre instinct universel à façonner un foyer, même dans les environnements les plus hostiles, mus par ce besoin irréductible de bâtir et de créer.

Dans la lignée de ses cabinets de curiosités, Paradigm Orrery 1 met en scène, sous une vitrine, un univers miniature de sculptures blanches. Dans ce microcosme, Hans Op de Beeck fait se rencontrer l’architecture, la science et le corps humain, plaçant ces concepts sur un pied d’égalité pour mieux interroger notre désir de classer et de comprendre le monde. L’œuvre devient alors une méditation poétique sur notre environnement technologique, un lieu où le rationnel et l’imaginaire fusionnent.

Au sein de cette vitrine, Wunderkammer – the pier (2024) déploie un univers miniature, une scène nocturne et détaillée où un quai s’étend vers la mer. L’artiste y a figé un parc d’attractions silencieux, dont la seule animation est la lente rotation d’une grande roue, créant une atmosphère de film noir. Un monde en soi, une bulle de fiction qui nous invite à nous perdre dans les détails de ce décor.

De la chambre au vaste monde

Dans l’installation My bed a raft, the room the sea, and then I laughed some gloom in me (2019) un lit se fait radeau, une chambre se mue en mer, et le sommeil plus qu’une simple parenthèse : un voyage introspectif sur eaux dormantes , pris dans des pensées aux profondeurs insondables.

Une jeune femme endormie, allongée sur un simple lit. Les traits du visage sont détendus, les mains reposent doucement, les draps tombent en plis sobres et précis. La lumière, imaginée comme celle d’un soir finissant, semble caresser la surface mate, révélant les détails des cheveux, du tissu, des contours du corps. Sleeping Girl (2020) capte ce moment de transition entre rêve et réalité, suspendu dans un silence dense, invitant le regardeur à s’approcher, à observer, mais aussi à se taire.

L’exposition se conclut avec Staging Silence (3) (2019), dernier volet de la trilogie filmique de Hans Op de Beeck. En noir et blanc, deux paires de mains anonymes bâtissent puis effacent, sur une scène de trois mètres carrés, une suite de décors miniatures – intérieurs, paysages, mondes imaginaires. Porté par la partition atmosphérique de Scanner, ce ballet silencieux devient une expérience immersive et méditative. Plus qu’un récit, le film est un poème visuel qui révèle comment l’art transforme les objets ordinaires en symboles de mémoire et de rêve.

REVIEW BOOMBARTSTIC

À Cassel, les œuvres de Hans Op de Beeck s’entretenaient avec les maîtres anciens de la collection ; au KMSKA, elles se déploient dans un récit continu, conçu comme un vaste parc nocturne entièrement voué à son univers.

Ici, le Voyage nocturne n’est pas une exposition au sens classique, mais une traversée introspective. Le visiteur, arraché à l’agitation du monde, pénètre dans un espace hors du temps, peuplé de sculptures grises et silencieuses, semblables à des songes pétrifiés. L’artiste nous invite à devenir les marcheurs de notre propre exploration, à nous égarer dans ce labyrinthe de figures isolées, de paysages figés, de scènes familières soudain étrangement lointaines.

Chaque œuvre — qu’il s’agisse d’un cavalier perdu, d’un carrousel à l’arrêt ou d’une jeune fille endormie — agit comme un miroir tendu à nos peurs, à nos espoirs, à nos mélancolies. Le fil invisible qui relie l’art contemporain aux thèmes immémoriaux de la collection esquisse un pont entre les siècles, rappelant que les questions essentielles de l’humanité traversent le temps sans se défaire.

Au terme de ce chemin, l’exposition se révèle comme une parenthèse enchantée, une méditation sur la fragilité de l’existence, la beauté du silence et la puissance de l’imagination — un voyage dont les images, comme des rémanences lumineuses, persistent longtemps après avoir quitté le musée.

 

Hans op de Beeck
Nocturnal Journey
KMSKA – Musées Royaux des Beaux-Arts
1 Leopold de Waelplaats 
2000 Anvers
jusqu’au 17 août 2025
du lundi au vendredi, de 10h à 17h
week-end et jours fériés, de 10h à 18h
https://kmska.be/fr

 

Hans op de Beeck, Vanitas XL, 2021 et The Horseman, 2020, sculptures mixed media, vue de l'exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Sanne De Block Photography, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, Vanitas XL, 2021 et The Horseman, 2020, sculptures mixed media, vue de l’exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Sanne De Block Photography, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, My Bed, a Raft, the Room the Sea, and the I laughted some Gloom in Me, 2019, sculpture mix media, 400 x 400 x 114 cm, vue de l'exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, My Bed, a Raft, the Room the Sea, and the I laughted some Gloom in Me, 2019, sculpture mix media, 400 x 400 x 114 cm, vue de l’exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, Sleeping Girl, 2017, Chien, 2019, sculptures mixed media, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Sanne De Block Photography, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, Sleeping Girl, 2017, Chien, 2019, sculptures mixed media, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Sanne De Block Photography, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, Paradigm - Orrery 1, 2025, sculpture mix media, 130 x 130 x 232 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans Op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, Paradigm – Orrery 1, 2025, sculpture mix media, 130 x 130 x 232 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans Op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

Hans Op de Beeck, Zhai-Liza (Angel) face, 2024, sculpture mixed media, 52 x 59 x 81 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) SABAM Belgique 2025, Studio Hans Op de Beeck, Boombartstic Art Magazine
Hans Op de Beeck, Zhai-Liza (Angel) face, 2024, sculpture mixed media, 52 x 59 x 81 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) SABAM Belgique 2025, Studio Hans Op de Beeck, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, The Cliff, 2019, détail, installation sculpturale, mix media, 420 x 940 x 291 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, The Cliff, 2019, détail, installation sculpturale, mix media, 420 x 940 x 291 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, Miriam, 2024, détail, sculpture mix media, 64 x 87 x 181 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, Miriam, 2024, détail, sculpture mix media, 64 x 87 x 181 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, Danse macabre, 2021, installation sculpturale mixed media, 950 x 950 x 650 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Sanne De Block Photography, Boombartstic At Magazine
Hans op de Beeck, Danse macabre, 2021, installation sculpturale mixed media, 950 x 950 x 650 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Sanne De Block Photography, Boombartstic At Magazine

 

Hans op de Beeck, Danse macabre, détail, 2021, installation sculpturale mixed media, 950 x 950 x 650 cm, vue de l'exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, Danse macabre, détail, 2021, installation sculpturale mixed media, 950 x 950 x 650 cm, vue de l’exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, The Boatman, sculpture mixed media, 400 x 400 x 180 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Sanne De Block Photography, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, The Boatman, sculpture mixed media, 400 x 400 x 180 cm, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) photo Sanne De Block Photography, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, The Settlement - indoor, 2016, installation sculpturale mixed media, dimensions variables 1300 x 1000 x 400 cm, collections Kröller-Müller Museum, Otterlo, Pays-Bas, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) Sanne De Block Photography, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, The Settlement – indoor, 2016, installation sculpturale mixed media, dimensions variables 1300 x 1000 x 400 cm, collections Kröller-Müller Museum, Otterlo, Pays-Bas, exposition Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, (c) Hans op de Beeck, (c) Sanne De Block Photography, Boombartstic Art Magazine

 

Hans op de Beeck, portrait, (c) Studio Hans op de Beeck, exposition Hans op de Beeck, Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, Boombartstic Art Magazine
Hans op de Beeck, portrait, (c) Studio Hans op de Beeck, exposition Hans op de Beeck, Nocturnal Journey, KMSKA, Anvers, 2025, Boombartstic Art Magazine

 

 

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