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Michel François, résonnances contre nature, à BOZAR Bruxelles

Michel François, résonnances contre nature, à BOZAR Bruxelles

Les salles d’exposition de BOZAR accueillent Contre Nature, une exposition de l’artiste plasticien Michel François. Conçue comme une véritable prolongation de son atelier, elle fait dialoguer œuvres anciennes et nouvelles de l’artiste. Retour sur quarante années de création. A voir jusqu’au 21 juillet 2023.

Michel François s’expose

Avec Contre nature, l’artiste belge Michel François nous propose de faire l’expérience d’un univers qu’il façonne avec cohérence depuis maintenant quatre décennies, s’inspirant de l’état du monde, attentif aux phénomènes simples et naturels de la vie quotidienne. Aucunement rétrospective mais prospective, cette exposition laisse toute sa place à des évocations d’un vivant en devenir.

L’architecture du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, campée dans son style Horta et son histoire, devient le point de départ de l’élaboration d’une « œuvre d’art totale et protéiforme » où la matière semble cruellement malmenée. Pour cette nouvelle exposition monographique – depuis celle qui s’est tenue au SMAK en 2009, une enfilade de salles sert de structure narrative aux thèmes de prédilection de l’artiste. Mise en scène dans six espaces, Contre Nature se découvre et se traverse comme on lit un livre, chapitre après chapitre, à la suite d’un prologue écrit dans l’atelier. A vous d’en tourner les pages.

Inscrites en suite ou distinctes, ces sections thématiques se veulent regroupements d’actes créatifs en unités de sens. Un itinéraire en 140 œuvres autour des concepts récurrents de la pratique de Michel François vous mène de Blind Spot aux Théâtre des opérations, Jardins contre nature, Hétérotopies, Scènes des abandons et Pièces à conviction.

Michel François à l’Œuvre

L’artiste ne peint pas, ne dessine pas, mais il assemble, articule, met en relation et compose plus qu’il ne sculpte. L’œil pour observer le monde, la main pour agir sur la matière. A chaque œuvre, son contexte. Forme d’évidence et évidence de la forme, façon d’exprimer et d’imprimer, d’expirer un monde qui l’inspire.

Michel François s’exprime à travers de multiples supports – comme la photographie, la vidéo, la sculpture, l’installation – en utilisant une grande diversité de matériaux allant du plus banal, du quotidien et ses rebus à ceux parfois issus de la nature.

Associés les uns aux autres, ils génèrent des œuvres contre nature reposant sur des contradictions, des oppositions, des antagonismes, des affinités. S’unissent alors subtilement dans des confrontations temporelles rapides et lentes, dans l’économie de gestes presque anodins : fragilité et force, construction et destruction, naturel et artificiel, naturel et culturel. IL plane sur ses œuvres un souffle de poésie, celle sensible des choses simples.

Michel François, Contre Nature

La langue française multiplie les associations polysémiques et idiomes avec le mot ‘nature ‘ : grandeur nature, grande et petite nature, nature fragile, seconde nature, à l’envers de la nature, de nature,…

Et voici ‘Contre Nature’. Le contre pour marquer la proximité ou l’opposition. Contre la nature, au plus près de la nature. Contre Nature, à l’encontre de la nature. Un titre d’exposition qui s’ouvre sur la richesse du paradoxe. Un éveil de la matière et du geste qui se révèle dans une pratique artistique parfois familière, parfois lointaine.

Michel François – Blind Spot

Dans une première salle, ‘Blind Spot’, une tour haute de quatre mètres recouverte de miroirs qui réfléchissent l’image des spectateurs et des vidéos avoisinantes. C’est un panoptique, un dispositif d’architecture carcérale de surveillance multidirectionnelle des cellules, conçu par Samuel Bentham à la fin du XVIIIe siècle, permettant de voir sans être vu.

Cette architecture de l’enfermement, Michel François en bouscule le sens en remplaçant le verre de l’édifice initial par du miroir. Il en fait une métaphore des selfies et réseaux sociaux, passant du danger de la surveillance généralisée au repli narcissique de l’individu. Sur ces miroirs se reflète la question du ‘qui observe qui ?’ Le regardé devient le regardant, l’observé devient l’observateur dans des représentations de nous-mêmes que nous partageons publiquement, balayant les frontières du privé.

De part et d’autre de cette tour, des ébullitions de gaz et de boue projetées sur grands écrans LED. Filmées à la surface bouillonnante des lacs de boue en Azerbaïdjan, les Mud Volcanos, et leurs émergences de bulles disparaissant aussi vite qu’elles apparaissent. Apparitions instables et précaires, qui en les observant bien reflètent, le ciel et la silhouette de l’artiste jusqu’à ce que celles-ci éclatent. Version contemporaine des Vanités, référence larvée à l’extraction des ressources naturelles et ses conséquences environnementales que le panoptique semble surveiller au plus près.

Pour l’artiste, ces ‘Mud Volcanos’ sont une manière de convoquer la géopolitique par le prisme de la matière, la boue, l’argile, matrice ancestrale de toute sculpture mais aussi d’illustrer l’accélération du temps entre une conception géologique bâtie sur des millions d’années et l’immédiateté de la communication numérique des écrans.

Michel François – le Théâtre des Opérations

Vient ensuite le Théâtre des Opérations et ce diagramme, gravé en longs sillons dans l’épaisseur du mur évoquant les troupes belligérantes qui s’affrontent sur le sol syrien. Dessin d’apparence abstraite sur lequel l’artiste a pris soin de ne pas identifier les acteurs du conflit. Dans ce jeu d’alliances obscures, qui se bat contre qui ? Violence inextricable et clamante d’un champ de bataille dont il ne subsiste que la poussière résiduelle qui souille le parquet comme une analogie matiériste entre la perte des vies humaines et les moyens de la représenter. C’est aussi pour l’artiste une manière de s’emparer de sujets intraitables, desquels l’art se soucie peu.

Face à cette absurdité de la guerre, le drapeau blanc hissé et mu par un dispositif technique sous-jacent semble bien dérisoire. Elément naturel et corps artificiel scellent ici leur union contre nature, entre champ de bataille et no man’s land, métaphore de la faiblesse de l’art, qui bien que résistant, peine à influencer le monde.

Au même moment, sur le mur d’en face, le temps imprime son passage, dans le mouvement circulaire et inexorable d’une roue des martyrs, à mi-chemin vers la croix.

Michel François, dans un jardin contre nature

Le voyage expérimental se poursuit dans le Jardin Contre Nature, incarné par la figure du jardinier dont la présence ne subsiste que par sa veste posée sur une chaise et une paire de bottes.

Autour, se déploie sur plaques murales en acier galvanisé, un paysage-herbier ; collection d’herbes, de plantes et de larges feuilles d’arbres séchées, retenues au support par des bandes aimantées noires qui en balafre la texture. Temporalités marquées par l’éphémère, la décadence, la désintégration, et la suspension.

Dans la salle flottent des flaques biomorphes figurant de l’eau et rendant tangible l’air environnant. Elles en rythment l’espace, le laisse transparaître, plaçant l’acte de regarder, à travers, dans la semi-opacité. Des concrétions en résine transparentes tachées en leur intérieur d’un noir qui infuse et se diffuse comme un poison.

Sur un mur, Michel François transfert le motif d’un ballon de football, à plat, sur des feuilles de bananier séchées déroulées et transcende la nature par la culture, associant leurs textures et leurs qualités matérielles, visuelles et formelles.

Dans une veste en cuir transpercée d’une branche en bronze, il découpe des hexagones qui rappelle le motif de cet iconique ballon, objet le plus culturel et sans doute le plus cultuel qui soit, dont il se sert pour façonner une paire de chaussures.

Alors qu’au centre de la pièce, posé sur un socle en asphalte, un bloc de sel gemme s’offre à une lente dissolution sous l’effet de gouttes d’eau qui ruissellent à sa surface. Il suffit d’une petite goutte d’eau, s’écoulant toutes les cinq secondes d’une bouteille suspendue pour tout faire disparaître, le temps d’une exposition. Une destruction lente qui laissera sur le socle noirâtre ses trainées blanchâtres.

Michel François, les Hétérotopies

Dans la salle des Hétérotopies ; des espaces concrets, des espaces-coins nourrissent des récits imaginaires maintes fois réinventés. Des photos prises à l’occasion d’un voyage, devenues matrices d’un ensemble de maquettes. Des éléments scénographiques devenus presque archétypaux suggèrent la présence humaine sans la révéler, théâtre de possibles actions et fictions sorties de l’imagination de l’artiste.

Sur un panneau autoportant, une photographie prise à La Havane, une bibliothèque détruite à la suite d’un tremblement de terre. Séquelles d’un lieu qui par ces circonstances, convoque la ruine. Ruine, état de fait primaire auquel Michel François confère sa présence sculpturale dans l’espace architectural. Jeu de mise en abîme quand l’existence physique de l’image photographique superpose l’espace en ruine qu’il dépeint à l’espace architectural dans lequel il est installé.

Michel François – la Salle des Abandons

La Salle des abandons s’ouvre sur un renoncement, celui de toute idée de talent, celui de refuser tout impératif de création. Michel François abandonne l’autorité de l’artiste pour accueillir des gestes simples, anodins et répétés, comme celui d’enrouler, de bailler ou de jeter du métal en fusion sur le sol.

Des rouleaux de bandelettes finement enroulées, serrées sur elles-mêmes, dont la continuité de la matière et de la forme est entravée par l’introduction d’un accident sous la forme de boules d’argile faites-main qui en déforment l’aspect. Accrochés aux cimaises, les ‘Enroulements’ s’exposent comme une série de cernes d’arbre. Le papier enroulé réinvente par son esthétique le bois initial dont il est issu.

Sur un autre mur, un papier peint où s’alignent des figures de bâilleur inspirées par celle peinte par Bruegel. Par un montage sériel qui en couvre la surface, 680.000 bâilleurs sont réunis dans une perte de contrôle de leur expression individuelle. Leur physionomie faciale involontairement déformée se fait matière pour l’artiste jusqu’à l’épuisement du motif.

Quand l’artiste s’efface devant le simple geste, tout devient expérience, la matière s’échappe de l’autorité du créateur. Alors confiance lui est rendue quant à sa capacité de transformation. C’est le cas, quand du bronze en fusion s’échappe d’un creuset et se renverse sur un sol froid chez le fondeur. Il se répand en ‘splashs’, couronnes de métal aléatoires, ramifiées et vivantes, façonnées par les soubresauts convulsifs imposés par le choc thermique.

Michel François – Pièces à Conviction

Une peinture, ‘la messe de Saint Grégoire’, œuvre du 15e siècle attribuée au Maître de Flémalle en introduction à la salle des Pièces à Conviction. Le tableau rassemble telles des pièces à convictions les éléments de la Passion du Christ, réaffirmant auprès des incrédules, cet événement fondateur de la foi chrétienne.

Une section/ex voto où l’artiste rassemble les traces de sa propre existence, photos, fragments de corps, alignement d’une série de sculptures autoportraits nées de l’assemblage de matériaux banals et d’objets trouvés.

Michel François revisite ainsi son installation murale de 1989, P. Table des matières. Moment fondateur de son évolution artistique, cette œuvre se compose de photographies et d’éléments matériels minimalistes évoquant une panoplie anatomique : des éléments du corps, des postures, des gestes physiques, des assemblages de matériaux divers et contraires – comme ces fleurs de pissenlits fragiles suspendues par leur tige à une chaise en bois. Un vocabulaire plastique qui mêle l’abstrait et le figuratif et d’où semble émaner un soupçon de vie, une émergence du vivant où l’objet remplacerait le corps.

Contre Nature se referme face au mur. Un mur de briques à la couleur bleu Magritte. A ses pieds, une rangée de tubes néon en verre argenté, alignés, brisés en leur centre comme pour marquer la trace d’un piétinement destructeur. Matière éclatée, dispersée dans un ordre nouveau, celui d’une sculpture foulée. Réminiscence d’un passage qui nous ferait marcher sur du verre, guidés vers cet ultime moment poétique, ce mur au ciel bleu. Une fois cet instant dépassé, restent le souvenir, ces empilements d’affiches offset à emporter. Ainsi se dispersent les images.

Michel François – la REVIEW BOOMBARTSTIC

Œuvre d’art totale créée sur mesure dans les espaces de BOZAR, ‘Contre Nature’ nous invite à une plongée dans l’atelier de Michel François pour en saisir les multiples facettes de son travail.

Contre Nature’, une exposition à vivre comme une expérience sensorielle autour du vivant. Michel François s’intéresse à l’ordinaire et aux gestes simples souvent invisibilisés. Des gestes répétés, en quête de sens. A travers le geste humain, la présence végétale et minérale, le vivant, sa fragilité, son instabilité, en équilibre précaire entre création et destruction. Le vivant qui se joue dans une relation contre nature entre le naturel et l’artificiel, réunis pour l’inconciliable. Là où objets, matériaux et gestes apparemment simples deviennent vecteurs de sens.

Les œuvres de Michel François investissent l’espace, installées sur socles ou sur le sol, accrochées aux murs, ou flottantes. Elles se regardent à la recherche d’affinité, de proximité ou assumant leurs différence et rejet. Des œuvres manipulées, retravaillées qui s’inscrivent dans le processus de recyclage permanent d’un travail en cours sur lequel s’étirent le passage des temps et du hasard jusqu’à la dissolution des mondes en un acte créatif.

Michel François, BIO expresse

Michel François est un artiste belge, né à Saint-Trond, en 1956. Il vit et travaille aujourd’hui à Bruxelles. Artiste multimédia : sculpteur, créateur d’installations, photographe et vidéaste.
‘Son œuvre questionne le vivant par une approche phénoménologique. La beauté et la fragilité du vivant sont mises à mal par des forces antagonistes au cœur d’une œuvre plurielle qui s’appréhende de manière sensible.
Internationalement reconnu par le monde de l’art (il a représenté la Belgique à la Biennale de Venise avec Ann Veronica Janssens en 1999 et exposé à la Documenta IX de Cassel, deux des plus importantes manifestations internationales d’art contemporain.

Michel François
Contre Nature
BOZAR – Palais des Beaux-Arts de Bruxelles
23 rue Ravenstein
1000 Bruxelles
jusqu’au 21 juillet 2023
du mardi au dimanche, de 10h à 18h
www.bozar.be

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Michel François
Michel François, Blind Spot, 2023, installation et vidéos des volcans de boue filmées à Bakou, Azerbaïdjan, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) Michel François, (c) photo Philippe De Gober, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, installation Drapeau blanc, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) Michel François, (c) photo Philippe De Gober, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, Diagramme transcrit les forces armées en conflit dans la guerre de Syrie, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) Michel François, (c) Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, From One Another, cuir, bois, caoutchouc, photo d’atelier, Bruxelles 2020, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) et (c) photo Michel François, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, Flaques de Résine transparente, vue de l’exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) Michel François, (c) photo Philippe De Gober, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, photo atelier, Bruxelles, 2019, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) et (c) photo Michel François, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, Enroulement, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) Michel François, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, Une Hétérotopie, solo show de Michel François à la galerie Carlier Gebauer, Berlin, 2018, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) et (c) photo Michel François, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, Contamination (pommes), 2006, bois, bois brûlé, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) et (c) photo Michel François, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, Enroulement sur papier peint au motif inspiré du Bailleur de Bruegel, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) Michel François, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, Splash, bronze, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) Michel François, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine

 

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Michel François, portrait, exposition Contre Nature, BOZAR Bruxelles, 2023, (c) photo Yannick Sas, Boombartstic Art Magazine

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