Published 15 avril 2025 Commentaires 0 Commentaire Par Eric Mabille Tags Antoine BourdelleAuguste RodinEscapadesExposition Rodin / Bourdelle Corps à CorpsFranceLa Piscine - Roubaix Rodin – Bourdelle : tension des corps, friction des formes, à La Piscine de Roubaix Et si la sculpture n’était pas qu’un art du volume, mais un véritable corps à corps entre l’artiste et la matière ? L’exposition Rodin – Bourdelle, ‘Corps à Corps’ à la Piscine de Roubaix. A découvrir jusqu’au 1er juin 2025. À travers l’affrontement fécond entre Rodin et Bourdelle, deux géants de la forme, l’exposition révèle en 170 œuvres bien plus qu’un dialogue esthétique : une lutte sensuelle, une tension presque charnelle entre le geste, le marbre et le souffle, entre éclats et friction des styles. Dialogue ardent de deux géants de la sculpture Il est des confrontations artistiques qui relèvent de l’évidence. Celle de Rodin et Bourdelle en fait partie. L’exposition ‘Rodin – Bourdelle. Corps à corps’, accueillie à La Piscine de Roubaix au printemps 2025, retrace l’intensité d’une relation faite d’admiration, d’émulation et de rupture entre deux sculpteurs qui, à force de tailler la chair du monde, ont redessiné les lignes de la sculpture moderne. La collaboration entre Auguste Rodin et Antoine Bourdelle fut bien plus qu’une simple relation de maître à élève ; elle incarna une osmose créative, un dialogue silencieux et puissant qui a profondément marqué l’œuvre des deux artistes. Dès 1893, lorsque le jeune Bourdelle intègre l’atelier du maître Rodin, ce n’est pas seulement un praticien habile qui rejoint ses rangs, mais une sensibilité artistique en pleine éclosion, dotée d’une force intérieure et d’une vision déjà singulière. Bourdelle, par sa maîtrise technique et son intelligence des formes, devint rapidement bien plus qu’un simple exécutant. Il participa activement à l’élaboration de certaines œuvres majeures de Rodin, apportant sa force physique et son acuité artistique pour donner corps aux visions du maître. Cette période fut une forge pour Bourdelle, un creuset où il put observer de près le processus créatif rodinien, s’imprégner de sa monumentalité et de sa capacité à capturer l’émotion brute. Pourtant, loin de l’effacement, cette proximité fut aussi le terreau d’une affirmation progressive. C’est au contact de Rodin que Bourdelle, tout en absorbant les leçons d’un maître qu’il qualifiait de « poète du corps humain », commença à sculpter sa propre voie — une voie tendue vers la clarté, l’ossature, la monumentalité. Leur collaboration fut un paradoxe fertile : une proximité nécessaire, presque charnelle, qui contenait déjà les germes d’un éloignement inévitable. Car on ne grandit pas dans l’ombre d’un volcan sans rêver d’un ciel à soi. Le départ de Bourdelle de l’atelier, autour de 1908, ne fut pas une rupture violente mais une mue silencieuse, l’accomplissement d’une lente mais irrépressible émancipation. Après quinze années d’un compagnonnage intense, l’ancien praticien s’émancipe : les formes se tendent, se simplifient, s’érigent en architectures intérieures. La chair vibrante cède la place à la masse construite. Loin d’une trahison, ce détachement marque l’entrée de Bourdelle dans une nouvelle ère — celle d’une sculpture souveraine, où s’affirme une pensée du monumental à la fois stylisée, hiératique et profondément personnelle. Loin d’oublier son mentor, il reconnaîtra toujours l’importance de cet apprentissage, mais son départ symbolise l’acte fondateur d’une œuvre personnelle, audacieuse et résolument tournée vers les défis de la modernité. D’Accords en Désaccords Le rapport à la matière : Modeler le souffle, tailler l’idée Chez Rodin, la matière n’est jamais soumise : elle résiste, vibre, lutte contre la forme. Dans Ève au rocher (1914), la tension de la peau plissée, la torsion du torse, la crispation du visage expriment un combat intérieur. Rodin modèle le corps comme un poète grave une vérité sur la page : avec lyrisme, inachèvement et feu. Le Baiser, tout comme Le Torse de l’Homme qui tombe, témoigne de cette quête du vivant dans la pierre. Le bronze se fait chair, le marbre sue presque. Bourdelle, lui, taille. Il écoute la matière comme on lit une partition. Le Torse de Pallas (1905) est un manifeste : forme ramassée, puissance intériorisée, monument compact. Ici, pas de frémissements : le corps est une colonne, un pilier. L’équilibre y prime sur l’émotion. Dans Le Fruit (1911), Bourdelle compose avec la frontalité et la géométrie. La chair est tendue comme un arc, structurée selon une logique interne. Il ne modèle pas, il bâtit. Il cherche, derrière le muscle, l’ossature du mythe. Esthétique du fragment : éclats du vivant, de l’inachevé à l’essentiel Rodin donne au fragment une aura sacrée. La Main de Dieu (1898) — cette immense paume d’où émergent deux figures humaines en gestation — est une vision cosmogonique. Les bustes, les torses, les membres arrachés deviennent chez lui des entités à part entière. L’inachèvement est puissance. Le Torse d’Adèle ou le Torse de l’Homme qui tombe concentrent l’énergie vitale dans la dislocation même du corps. Rodin ne coupe pas : il libère la forme par la cassure. Bourdelle, tout en intégrant cette esthétique, la transforme. La main droite d’Hercule archer (1909–1923) se détache du corps mais devient elle-même sculpture-monde. Elle incarne une force comprimée, canalisée, offerte au regard comme un bloc. De même, le Torse de guerrier se tient dans une stabilité massive, presque antique. Chez Bourdelle, le fragment ne suggère pas l’absence, mais une totalité condensée. Socles et monumentalité Rodin défie la tradition du socle. Il veut que ses sculptures parlent au passant. Dans Les Bourgeois de Calais, il exige qu’ils soient au niveau du sol — figures tragiques mais humaines, incarnées. Le socle, pour lui, peut parfois enfermer : il préfère l’exposition brute, la matière au contact du monde. Mais Rodin joue aussi de la hauteur. Balzac (1891–1897), dressé comme une falaise, enveloppé d’un manteau taillé à la hache, devient monolithe. Il n’est plus portrait : il est élan, masse, mystère. Bourdelle, lui, fait du socle un élément essentiel. Dans La France (1925), le piédestal n’est pas un support, c’est le sol d’où monte la sculpture. Dans Monument à Alvear, à Buenos Aires, ou Monument aux morts de Montauban, tout est conçu comme un ensemble. Le socle est socle-monde, socle-mémoire. Bourdelle pense en architecte. Le socle est la clef de voûte de sa vision. Il écrit : « La base est la racine ». Hybridations et métamorphoses Rodin explore le corps dans ses fusions impossibles. Centauresse (vers 1910) est une figure d’angoisse : buste féminin, torse équin, formes mal ajustées. Elle n’est pas belle — elle est bouleversante. L’hybridation chez Rodin exprime le désir, la violence, la fracture du réel. Dans ses dessins de Léda et le cygne, les formes s’étreignent, se déchirent, se confondent. L’érotisme y est brûlure, presque une blessure. Bourdelle répond par la métamorphose lente. Daphné changée en laurier (1910–1911) incarne le moment suspendu où l’humain devient végétal. Les bras deviennent branches, le torse s’étire. Il n’y a pas de déchirement, mais un passage. C’est une sculpture du seuil. Ses Bacchantes ou sa Tête d’Apollon conservent une part mythique, mais dans la verticalité, la sobriété. Il fixe, là où Rodin tourmente. Les mots en échos Pour Bourdelle, l’écriture n’est pas un simple déversoir de pensées, mais un véritable prolongement de son acte sculptural, un outil de clarification et d’émancipation. Dans ses carnets, ses discours et sa correspondance, il tisse un rapport ambivalent avec Rodin, son « dieu solaire et fauve ». L’admiration y est palpable, presque sacrée, pour l’intensité du geste rodinien. Pourtant, sous la plume, perce aussi le besoin vital de s’éloigner de cette ombre trop vaste, de critiquer une emphase, un flou qui risquaient d’engloutir les autres talents. En 1919, son essai L’Art et Rodin devient le manifeste de cette rupture amoureuse et nécessaire, où les mots ciselés lui permettent de tailler sa propre voie. Un legs vivant L’exposition se conclut sur une vision puissante : celle d’un héritage vivant, palpé dans les œuvres d’une nouvelle génération d’artistes. Des noms comme Germaine Richier, Ossip Zadkine et Giacometti ne sont pas de simples continuateurs, mais de véritables transfigurateurs. Ils reprennent, chacun avec leur sensibilité propre, le fil incandescent tissé par Rodin et Bourdelle. On y discerne des sculptures hybrides, des formes dressées avec une nouvelle audace, et une fragmentation désormais maîtrisée, non plus signe d’absence mais d’une présence intensifiée. Tous les ingrédients sont là, sublimés, témoignant de la fertilité inépuisable de cette double influence. Rodin, en son temps, a bouleversé l’aube du XXe siècle, ouvrant des brèches inattendues dans la conception de la forme et du corps. Bourdelle, quant à lui, a consolidé ce terrain mouvant, bâtissant des ponts entre la puissance expressive et une monumentalité repensée. Leur ‘corps à corps’, cette confrontation fertile entre artistes, entre intuition et structure, a laissé des traces indélébiles sur chaque pierre à venir, modelant à jamais le paysage de la sculpture moderne et contemporaine. C’est un dialogue qui, loin de s’éteindre, continue de résonner, vibrant et inspirant. Review Boombartstic La Piscine de Roubaix offre au public une confrontation sculpturale d’une rare intensité avec l’exposition ‘Rodin Bourdelle Corps à Corps’. Loin d’une simple juxtaposition, cette rétrospective met en lumière la relation complexe et fascinante entre Auguste Rodin et Antoine Bourdelle. L’exposition déploie un dialogue artistique profond, oscillant entre admiration, soutien mutuel, rivalité et émancipation. Le corps à corps n’est pas seulement thématique – le corps humain étant au cœur de leur œuvre – mais aussi plastique, traduisant les échanges constants et les divergences esthétiques entre les deux maîtres. On y découvre comment Bourdelle, jadis taillant le marbre pour Rodin, a progressivement affirmé sa propre voie, tout en portant les germes de l’héritage rodinien. Des comparaisons éloquentes sont offertes aux visiteurs, notamment avec les interprétations respectives d’Adam, qui révèlent à la fois des similitudes troublantes et des approches distinctes. L’exposition explore avec acuité l’évolution de leurs styles : de la vibration sensuelle du modelé chez Rodin à la géométrisation et la synthèse des formes qu’opère Bourdelle. Le traitement du fragment, l’intérêt pour la matérialité brute de la pierre, et leur quête d’expressions synthétiques soulignent leur modernité. L’apport de cette exposition ne se limite pas à la relation Rodin-Bourdelle ; elle élargit la perspective en montrant leur influence sur les avant-gardes, avec des œuvres d’artistes tels que Brancusi, Giacometti, ou encore Germaine Richier, qui attestent de leur legs durable. Rodin – Bourdelle, Corps à Corps’ est une expérience riche et captivante, une véritable plongée dans les fondements de la sculpture moderne. Elle sait, avec finesse et érudition, éclairer la fraternité esthétique et les antagonismes fertiles de deux génies qui, chacun à leur manière, ont révolutionné la perception et la représentation du corps en mouvement et de la forme dans l’espace. Rodin / Bourdelle Corps à Corps 23 rue de l’Espérance 59100 Roubaix jusqu’au 01 juin 2025 du mardi au jeudi, de 11h à 18h vendredi, de 11h à 20h samedi et dimanche, de 13h à 18h www.roubaix-lapiscine.com Antoine Bourdelle (1861-1929), Portrait d’Auguste Rodin, 1909, bronze, 1923, 57,5 x 34,5 x 34 cm, Paris, musée Rodin, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, 2025, (c) Agence photographique du musée Rodin – Pauline Hisbacq, Boombartstic Art Magazine Antoine Bourdelle (1861-1929), Le Poète ou Le Jour et la Nuit, 1901, marbre 62,5 x 63 x 48 cm, Paris, musée Bourdelle, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, (c) Paris Musées – Musée Bourdelle, Boombartstic Art Magazine Auguste Rodin (1840-1917) , Adam , 1880, bronze 197 x 76 x 77 cm , Paris, musée Rodin, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) musée Rodin , (c) photo Christian Baraja, Boombartstic Art Magazine Auguste Rodin (1840-1917), Masque de Camille Claudel, vers 1884, plâtre 23 x 16,5 x 17 cm, Paris, musée Rodin, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, Musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) agence photographique du musée Rodin – Jérôme Manoukian, Boombartstic Art Magazine Antoine Bourdelle (1861-1929), Buste du centaure mourant – Modèle à grandeur d’exécution, 1914, plâtre, 133 x 86 x 55 cm, Paris, musée Bourdelle, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) Paris Musées – Musée Bourdelle, Boombartstic Art Magazine Auguste Rodin (1840-1917), La Centauresse, 1887, bronze 45,8 x 49 x 16,7 cm, Paris, musée Rodin, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c)musée Rodin, (c) photo Hervé Lewandowski, Boombartstic Art Magazine Antoine Bourdelle (1861-1929), Héraclès archer, torse,1909, bronze 92,8 x 71 x 47 cm, Paris, musée Bourdelle, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, 2025, (c) Paris Musées / Musée Bourdelle, Boombartstic Art Magazine Auguste Rodin (1840-1917), La Main de Dieu, 1898, plâtre 36,5 x 33,3 x 23,2 cm, Paris, musée Rodin, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) musée Rodin, (c) photo Christian Baraja, Boombartstic Art Magazine Exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, vue de l’exposition, section, fragments, les torses, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Auguste Rodin (1840-1917), Buste de Marie Fenaille, 1898, plâtre 225,5 x 43 x 33 cm, Paris, musée Rodin, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) agence photographique du musée Rodin – Pauline Hisbacq, Boombartstic Art Magazine Auguste Rodin (1840-1917) , Troisième maquette de La Porte de l’Enfer, 1881-1882, bronze 109,8 x 73,7 x 28,5 cm, Paris, musée Rodin, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, Musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) musée Rodin, (c) photo Christian Baraja, Boombartstic Art Magazine Anonyme, Antoine Bourdelle posant près des trois statues de La France, à la fonderie Rudier, 1925-1926, Négatif sur verre au gélatinobromure d’argent, 12 x 9 cm, Paris, musée Bourdelle, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) Paris Musées – Musée Bourdelle, Boombartstic Art Magazine Antoine Bourdelle (1861-1929), La Danse, Isadora et Nijinski, bas-relief pour le Théâtre des Champs-Elysées, 1912, bronze 176 x 150 x 27 cm, Paris, musée Bourdelle, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) Paris Musées – Musée Bourdelle, Boombartstic Art Magazine Antoine Bourdelle (1861-1929), Daphné changée en laurier, 1910-1911, bronze 84 x 24 x 26 cm, Paris, musée Bourdelle, exposition Rodin / Bourdelle Corps à Corps, musée La Piscine, Roubaix, 2025, (c) Paris Musées – Musée Bourdelle, Boombartstic Art Magazine Antoine Bourdelle (1861-1929), Esprit maîtrisant la Matière ou Centaure et Minotaure, bronze, 1910, fonte Rudier vers 1925, Legs Rhodia Dufet Bourdelle, 2002, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Auteur Eric Mabille "J’adore bouger et mon rapport à l’art est dans le mouvement, l’instinct et l’instant et ce depuis toujours. J'aime ce côté spontané, libéré de toute connaissance préalable, en vrai autodidacte. J’apprécie aussi pleinement le moment privilégié d’une preview presse, où seul dans une salle d’exposition, j’ai cette impression d’avoir toutes les œuvres pour moi. » Eric Mabille est diplômé en marketing, passionné de web, spécialisé en gestion de projets culturels et en marketing de destination et de niche. Il fréquente depuis plusieurs années l’atelier de dessin et les cours de chant lyrique à l’Académie de Saint-Gilles.